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Cyrille Ndembi, 59 ans, berce sa fille Cyrfanie devant son domicile situé à proximité de l'usine METSSA Congo, à Vindoulou, le 16 septembre 2023. Photo par Daniel Beloumou Olomo

Les entreprises indiennes introduisent en Afrique l’une des industries les plus polluantes au monde, entraînant des problèmes de santé au sein de la population.

Les tests révèlent que les familles résidant à proximité des usines de recyclage de batteries présentent des niveaux de plomb « dangereux » dans leur sang et dans le sol.

December 4, 2023

Cet article est publié en partenariat avec The Museba Project, Ghana Business News et Grist.

Cette enquête, initialement réalisée en anglais, a été traduite en français.

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Si vous envisagez de republier cette histoire, veuillez contacter The Examination.

VINDOULOU (RÉPUBLIQUE DU CONGO)

À midi, au crépuscule et au cœur de la nuit, M. Cyrille Traore Ndembi saisit son téléphone et filme son voisin le plus proche.

L’usine de recyclage de batteries rugit, faisant trembler le lit de M. Ndembi. Ses cheminées crachent de la fumée dans l’air, répandant des odeurs âpres à travers les fenêtres de la maison familiale en béton. Le jardin, où jouent ses enfants, est arrosé d’une poussière noire chargée de plomb, l’un des métaux les plus dangereux de la planète.

Enregistrement vidéo réalisé par Cyrille Ndembi et partagé avec The Examination en septembre 2023.

M. Ndembi appelle l’une de ses cheminées « la tour de la mort. »

Depuis leur installation il y a quatre ans à Vindoulou, une zone sablonneuse jonchée de cabanes et de maisons en bordure de la principale route nationale de la République du Congo, l’épouse et les filles de M. Ndembi ont souffert de pneumonie, de bronchite et de toux persistante, comme en attestent les dossiers médicaux.

« Le plomb est un poison puissant et lent », explique M. Ndembi, 59 ans, qui se bat aux côtés de ses voisins pour obtenir le déplacement ou la fermeture de l’usine. « Il tue à petit feu. »

Il y a plus de vingt ans, le propriétaire indien, Metssa Trading, s’est installé en Afrique sous le nom de Metafrique, profitant de matériaux et d’une main-d’œuvre bon marché ainsi que de certaines normes de protection sociale et environnementale parmi les plus faibles au monde. 

À ce jour, l’entreprise est l’un des principaux recycleurs de batteries automobiles usagées de la région, des boîtes de plastique, de produits chimiques et de métal qui, une fois découpées en morceaux et fondues dans des fours à 1093 degrés Celsius, produisent le plomb indispensable à la plupart des voitures en circulation aujourd’hui. 

Les experts considèrent le recyclage des batteries comme étant l’activité industrielle la plus polluante au monde. Dans les cas les plus graves, les émissions de l’industrie (fumée, poussière, produits chimiques, eaux de ruissellement) contaminent l’environnement sur plusieurs générations et le corps humain en est affecté pour toute la vie. Le marché en Afrique devrait atteindre plus de 6 milliards de dollars au cours de cette décennie.

Alors que l’Inde a adopté, il y a plus de 20 ans, ses premières réglementations sur les batteries au plomb, exigeant des entreprises de recyclage qu’elles adoptent des pratiques sûres, la République du Congo, comme d’autres pays d’Afrique, n’a pas fait de même.

Aujourd’hui, les autorités de New Delhi célèbrent l’expansion des activités menées par les Indiens en Afrique, qui inclut des installations de recyclage de batteries dans au moins huit pays. Le pays a récemment envoyé l’un de ses ambassadeurs en Afrique de l’Ouest pour inaugurer une nouvelle usine qui stockait des batteries au plomb depuis des années. Les investissements indiens en Afrique ont augmenté de plus de 20 milliards de dollars en quatre ans, selon les responsables, et le financement par le gouvernement de projets sur l’ensemble du continent est en hausse. « Tout est possible », a déclaré le Premier ministre Narendra Modi en août.

Ce soutien intervient alors qu’il est de plus en plus évident que les entreprises indiennes spécialisées dans le recyclage du plomb figurent parmi les principaux pollueurs du continent et empoisonnent les communautés, comme l’a révélé une enquête menée par The Examination. 

Des scientifiques ont démontré qu’une grande entreprise indienne de recyclage avait contaminé le sol tout près des écoles et des églises en Afrique de l’Ouest, à une concentration des milliers de fois supérieure à celle qui nécessiterait une intervention aux États-Unis. Une autre entreprise, qui tient son nom du dieu hindou à tête d’éléphant, a été brièvement fermée par les autorités sénégalaises à la suite de violations des normes sanitaires. Les habitants d’une communauté kenyane ont essayé pendant des années de poursuivre en justice une entreprise indienne, au motif que l’usine a causé des maladies et des décès. 

Metssa Trading est également sous le feu des critiques. Au Congo, le ministre de l’Environnement a suspendu les activités de l’usine qui n’avait pas présenté d’audit à temps. Au Cameroun voisin, où le propriétaire de Metssa Trading a fondé une autre entreprise de recyclage de batteries, les autorités ont attribué à l’usine une note de zéro sur 100 en termes d’efforts pour protéger la santé des populations.

« Les entreprises indiennes sont venues profiter de notre système de contrôle peu rigoureux », a déclaré John Pwamang, ancien directeur exécutif par intérim de l’Agence ghanéenne de protection environnementale, où trois des six principales usines de recyclage de batteries sont exploitées par des Indiens. « Ils devraient investir dans des technologies modernes et plus propres au lieu d’essayer d’obtenir du plomb à bon marché, ce qui favorise la pollution de l’environnement. »

Du Ghana au Cameroun, il ressort des entretiens et des documents que les fonctionnaires se sont à plusieurs reprises rangés du côté des entreprises, au détriment des communautés qui dénonçaient des problèmes de santé. Les fonctionnaires refusent de communiquer au public toutes les informations, qu’il s’agisse d’informations de base sur les résultats des contrôles et des nettoyages ou de réponses sur les raisons pour lesquelles ils ont autorisé la construction de nouveaux logements à quelques mètres d’une usine, en dépit des lois prévues pour la protection de la santé des populations. Selon l’enquête, les autorités ont été témoins de pratiques dangereuses, mais ont refusé d’intervenir.

Des entreprises espagnoles, irlandaises et américaines alimentent l’écosystème toxique en achetant des tonnes de produits dangereux, qui accostent dans des ports allant d’Anvers à Baltimore.

Afin d’évaluer les risques potentiels liés aux activités de Metssa, The Examination a mandaté des experts pour collecter et analyser des échantillons de sang de personnes vivant à proximité de l’usine de l’entreprise en République du Congo. Tous les résultats dépassaient les limites fixées par les normes américaines et exigeaient une intervention, y compris les résultats de trois enfants dont les médecins ont qualifié les niveaux de concentration de plomb de « terribles » et de « dangereux. »

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Les résidents et les scientifiques des deux principales villes d'Afrique centrale soutiennent que les usines de recyclage de batteries déversent du plomb dans les quartiers avoisinants.

Au Cameroun, The Examination a engagé des chercheurs pour examiner la composition du sol dans une usine de recyclage de batteries à Douala.

Les conclusions ont révélé des concentrations de plomb supérieures aux analyses antérieures. Le géochimiste Gilbert Kuepouo a exprimé son inquiétude en affirmant : « La situation s'aggrave ».

L'usine Métafrique est entourée d'entreprises à Douala, avec une route très fréquentée qui longe ses murs.

The Examination a collaboré avec des spécialistes pour évaluer les niveaux de plomb dans le sang des résidents vivant à proximité de l'usine Metssa Congo à Vindoulou, Pointe-Noire.

Toutes les personnes examinées à Vindoulou ont affiché des niveaux de plomb dans le sang extrêmement élevés.

Jean Patrice Ngoyi, père de six enfants résidant à proximité de l'usine, a déclaré : « Ce que nous transmettons à nos enfants est un héritage toxique. Lorsque nous avons acquis ce terrain, nous espérions le léguer à nos enfants. »

Au Cameroun, The Examination a également engagé des scientifiques qui ont collecté et testé le plomb dans le sol à l’intérieur et à l’extérieur d’une usine de recyclage de batteries à Douala, la plus grande ville du pays. Là aussi, plus de la moitié des résultats ont révélé des niveaux de plomb qui, même selon des estimations prudentes, menacent la santé des populations.

« Ce sont des résultats très inquiétants », a déclaré Gilbert Kuepouo, un géochimiste ayant prélevé les échantillons.

Quelques jours après que The Examination a interrogé un régulateur de l’environnement au Cameroun sur les activités de l’usine, celui-ci a inspecté ladite usine et a constaté des problèmes au niveau du système de filtrage des émissions. L’entreprise a accepté de suspendre ses activités et de prendre des mesures pour réduire la pollution, a déclaré le régulateur.

Cette enquête s’appuie sur l’analyse de résultats de tests, de procès, de vidéos, de dossiers médicaux, de rapports d’inspection et de correspondances du gouvernement, ainsi que sur des entretiens et des visites dans les usines et dans les quartiers. L’enquête, menée en collaboration avec The Museba Project au Cameroun et le Ghana Business News au Ghana, s’est appuyée sur des dossiers provenant de neuf pays pour documenter l’expansion en Afrique de sociétés de recyclage de batteries opérées par des indiennes, la plus grande démocratie du monde et l’une de ses économies les plus influentes.

Le patron de Metssa, M. Arun Goswami, a indiqué à The Examination que l’entreprise travaillait dans le respect de toutes les autorisations gouvernementales nécessaires. « Dans cette économie mondiale, chacun trouve des opportunités et s’efforce de travailler dur pour réaliser ses rêves partout où cela est possible », a déclaré M. Goswami.

En début d’année, M. Ndembi a traversé son quartier pour accompagner une équipe d’infirmières portant des garrots et des seringues. « Toc, toc », criait M. Ndembi, conduisant les infirmières dans les maisons de ses voisins pour recueillir ce qu’il considère comme des preuves pour le combat à venir.

« Notre combat consiste à ne pas laisser un environnement malsain à notre progéniture », a souligné M. Ndembi.

Vidéo par Daniel Beloumou Olomo

Il a regardé une infirmière s’efforcer de trouver des veines dans les petits bras de sa fille cadette, Cyrfanie, âgée de 15 mois, dont le dessin animé préféré met en scène un âne français espiègle. L’infirmière a piqué la plante du pied de la petite fille à l’aide d’une aiguille, aspirant le sang dans un tube qui a ensuite été envoyé dans un laboratoire à l’étranger. 

M. Ndembi s’attendait à de mauvaises nouvelles. Les résultats ont été pires que ce qu’il avait imaginé.

Bon marché, mais mortel

Représenté dans le tableau périodique par le symbole Pb, le plomb rend les personnes malades depuis des siècles.

Les Romains de l’Antiquité, qui édulcoraient le vin en faisant bouillir des raisins dans des récipients en plomb, avaient remarqué que les buveurs réguliers devenaient léthargiques. Les enfants et les convives du XIXe siècle en Angleterre devenaient malades après avoir mangé des bonbons et du fromage contenant des pigments de plomb colorés.

Dès le début du XXe siècle, des médecins et des chercheurs en médecine ont signalé que le plomb contenu dans la peinture et l’essence était responsable de maladies, de décès et de troubles psychologiques nécessitant le port d’une camisole de force. 

Le plomb pénètre le plus souvent dans l’organisme lorsqu’une personne respire de l’air pollué ou ingère un liquide ou un solide contaminé, notamment des aliments, des éclats de peinture, de la terre ou de la poussière. 

Une fois dans le système, le plomb se déplace dans le flux sanguin, se fixe dans les organes et les dents et détruit les cellules qui protègent l’ensemble du corps.

Aucune quantité de plomb dans l’organisme n’est sans danger, même si ses effets peuvent varier d’une personne à l’autre. Pour une même concentration de plomb dans le sang, une personne peut se plaindre de maux d’estomac, tandis qu’une autre souffrira d’un gonflement du cerveau et qu’une troisième sera totalement asymptomatique. 

L’exposition au plomb peut entraîner des lésions cérébrales et nerveuses et est liée aux maladies d’Alzheimer et de Parkinson. En cas d’exposition à des niveaux extrêmement élevés, le plomb peut provoquer des crises d’épilepsie et entraîner la mort. Les enfants sont particulièrement vulnérables. Une étude récente a montré que le plomb pourrait avoir coûté aux jeunes enfants des centaines de millions de points de QI rien qu’en 2019. 

Selon un indicateur, l’Afrique perd chaque année des milliards de dollars de plus que toute autre région en raison de la perte de productivité causée par l’exposition au plomb. 

Le recyclage du plomb, un processus présent sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique, est considéré depuis longtemps comme étant une grave menace pour la santé publique.

« Très peu d’industries présentent un tel danger pour la santé ou ont un tel coût pour le grand public », a déclaré Perry Gottesfeld, directeur exécutif de l’organisation Occupational Knowledge International, basée à San Francisco, qui a étudié la pollution causée par les usines de recyclage de batteries dans plus d’une douzaine de pays.

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Les batteries usagées sont entreposées au sol dans une entreprise de recyclage à Douala, au Cameroun, le 7 juillet 2023. Après leur démontage, leur contenu sera fondu pour en récupérer le plomb.Photo par Daniel Beloumou Olomo

La majeure partie du plomb recyclé est utilisée dans les batteries qui alimentent les voitures, les motos, les grues et d’autres équipements essentiels à la vie quotidienne, notamment les millions de nouvelles voitures qui circulent sur les routes chaque année. Chaque voiture utilise en moyenne quatre batteries au plomb pendant sa durée de vie. Même la plupart des voitures électriques qui fonctionnent avec des batteries au lithium plus récentes contiennent encore des batteries traditionnelles au plomb. 

Les batteries de voiture traditionnelles peuvent être réutilisées à 99 %, ce qui en fait l’un des produits les plus recyclés au monde.

Le plomb peut être « recyclé indéfiniment », selon l’organisme des Nations unies qui conseille les pays sur les politiques en matière de déchets dangereux. En outre, le recyclage peut s’avérer moins coûteux que l’extraction de minerai de plomb frais dans le sol. L’acide issu des batteries peut être séché en cristaux pour fabriquer du verre et des détergents. Les coques en plastique, broyées en granulés, deviennent des jardinières, des poubelles ou de nouveaux boîtiers de batterie.

Toutefois, le recyclage des batteries ne se fait pas toujours de la même manière. Il existe plus de 29 000 sites de recyclage en arrière-cour dans le monde, y compris des dépôts de ferraille en plein air où des adultes et des enfants travaillent sans autorisation ni équipement de protection, démontant les batteries à la main, les frappant avec des machettes et vidant de l’acide sur le sol.

Selon M. Gottesfeld, la technologie de contrôle de la pollution fait toute la différence et les usines aux États-Unis, en Chine et ailleurs se sont améliorées au cours des dernières décennies. 

« Nous savons que c’est faisable et réalisable », a déclaré M. Gottesfeld à propos des protocoles appropriés. « Cela peut coûter cher, mais ce n’est pas sorcier. »

Analyses de sang et poussières toxiques

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Des enfants s'adonnent à une partie de football sur un terrain à proximité de l'usine METSSA Congo à Vindoulou le 15 septembre 2023.Photo par Daniel Beloumou Olomo

Pour cartographier l’empreinte indienne en Afrique dans le recyclage des batteries, il suffit de voyager des marais côtiers du Mozambique aux plantations de mangues du Nigeria, des petites usines de la campagne aux édifices entiers au cœur de villes grouillantes de monde.

Au Congo, la maison de M. Ndembi se trouve à dix minutes de marche de la route nationale numéro 1, sur des chemins de sable qui abîment les chaussures et les orteils. 

L’un des voisins les plus proches de M. Ndembi est une ancienne star du football, un père de quatre enfants connu sous le nom de « The Knight » (le chevalier). D’autres sont des enseignants, un ancien combattant et un journaliste à la retraite. Non loin de là, des femmes vendent du poisson séché à l’extérieur de maisons aux toits en tôle. La peinture bleue s’effrite sur les murs d’un salon de coiffure baptisé « The Beauty of Man ». 

Metssa Congo (anciennement Metafrique) a emménagé à Vindoulou il y a plus de dix ans, à une époque où le quartier était peu peuplé. Au fil des ans, la population y est devenue de plus en plus nombreuse. Une école y a vu le jour.

M. Ndembi a visité le quartier pour la première fois en 2019. À l’époque, la zone était classée comme « urbaine », comme le montrent les documents officiels.

M. Ndembi se souvient avoir rencontré les responsables de l’usine, mais ceux-ci étaient restés silencieux et personne n’avait mentionné de raison de s’inquiéter. L’entreprise n’avait organisé aucune réunion publique sur ses activités.

M. Ndembi a pensé que les conditions étaient rassurantes. 

Ce n’est que peu de temps après avoir commencé à construire sa maison de rêve à deux étages que les problèmes ont commencé à se signaler.

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The Examination a mandaté des analyses sanguines sur des résidents vivant à proximité de l'usine Metssa Congo et a fait examiner les niveaux de plomb par un laboratoire en France.Carte réalisée par Lo Benichou

Tout d’abord, un contrôle des autorités sanitaires a mis en évidence des conditions de travail insalubres dans l’usine et un risque de pollution du sol et de l’air. Quelques mois plus tard, l’entreprise a versé 500 dollars au propriétaire d’un bar local, qui accusait cette dernière d’être responsable de l’infection pulmonaire de sa fille et qui se plaignait que les émissions avaient corrodé son toit. Le propriétaire du bar a accepté l’argent après avoir promis de « ne jamais revenir frapper à la porte » de l’entreprise ou d’un représentant du gouvernement, conformément à l’entente.

En 2020, le ministre congolais de l’Environnement a suspendu les activités de l’usine et ladite suspension n’a été levée qu’à condition que l’entreprise respecte les normes environnementales. Peu après, trois juges ont écouté, dans une salle d’audience du centre-ville, un père de 14 enfants qui poursuivait l’entreprise en justice, au motif que la pollution l’avait rendu malade, autant que ses enfants. L’homme a présenté un rapport médical confirmant que sa bronchite était très probablement causée par l’inhalation de fumées toxiques, selon les dossiers du tribunal.

L’année dernière, une équipe de consultants engagés par l’entreprise pour auditer l’usine a constaté des niveaux nocifs de pollution de l’air et a averti que des « poussières toxiques » pouvaient causer des cancers, des lésions du système nerveux et des intoxications au plomb. 

Metssa Congo ne disposait pas de plan de gestion des déchets, des risques et des produits chimiques, selon l'audit obtenu par The Examination. L'entreprise de recyclage n'a pas non plus élaboré une étude d'impact environnemental et social avant de commencer les travaux, selon l'audit. De telles études sont exigées par décret en République du Congo depuis 2009.

“C'est une négligence de l'administration,» a déclaré Brice Séverin Pongui, avocat congolais et spécialiste du droit de l'environnement.

« L'État est parfois complaisant pour plusieurs raisons : besoin de création rapide d'emplois par exemple au détriment du risque environnemental et social », a déclaré Pongui.

L'audit a reconnu que l'usine a bénéficié financièrement à la ville et que ses impôts ont aidé le pays tout entier.

M. Arsène Bisnault, dont le cabinet de conseil a préparé une version antérieure de l’audit, a confié à The Examination que l’usine devrait être délocalisée en raison de la dangerosité de ses produits.

M. Bisnault a déclaré qu’il avait cessé de travailler après le refus de Metssa Congo de fournir tous les documents qu’il avait demandés pour effectuer les contrôles de sécurité environnementale. Il a également affirmé que l’entreprise lui doit toujours de l’argent.

(M. Goswami a déclaré que Metssa Congo avait versé une avance à M. Bisnault, mais que ce dernier n’avait pas terminé son rapport). 

En début d’année, M. Ndembi a fait le long voyage jusqu’en ville pour récupérer les résultats des analyses de sang. Il avait mis suffisamment de temps à se renseigner sur le plomb pour se douter que quelque chose n’allait pas, mais il a été surpris par les résultats de ses filles, en particulier Cyrfanie. Son niveau de concentration de plomb était le plus élevé de la famille.

« J’étais très bouleversé, très en colère », a-t-il déclaré. « Personne dans ma famille n’a été épargné. »

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Les analyses sanguines de onze enfants vivant à proximité de l'établissement Metssa Congo à Vindoulou ont révélé des taux élevés de plomb.Photographies par Daniel Beloumou Olomo

Les résultats de Cyrfanie ont révélé plus de 53 microgrammes de plomb, soit neuf fois supérieur aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé en matière d’intervention médicale.

À ce niveau, selon les normes largement citées publiées par les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, un enfant devrait subir une radiographie, un examen neurologique et envisager une admission à l’hôpital. Pour tout ce qui dépasse 45 microgrammes par décilitre, le ministère de la Santé de l’État de New York déclare : « Votre enfant a besoin d’un traitement médical immédiatement ».

Selon les experts, Cyrfanie risque de subir des conséquences importantes tout au long de sa vie. Les troubles d’apprentissage et les lésions cérébrales font partie des risques encourus à son niveau d’exposition.

L'une des autres filles de M. Ndembi, Cyrielle, âgée de huit ans, avait un résultat supérieur à 45 microgrammes par décilitre, un niveau à partir duquel le CDC recommande également un traitement médical. Le résultat de M. Ndembi suivait de près. 

Selon le Dr Brian Schwartz, professeur à la John Hopkins Bloomberg School of Public Health, le taux normal de plomb dans le sang est de zéro microgramme par décilitre. « C’est-à-dire aucun, nada, zilch, zéro. » 

M. Ndembi a déclaré qu’il n’avait pas d’argent pour les soins médicaux. Le traitement souvent recommandé en cas d’empoisonnement grave au plomb, connu sous le nom de chélation, peut être coûteux et la clinique qui a prélevé les échantillons de sang a déclaré qu’elle n’avait connaissance d’aucun traitement disponible au Congo. En tout état de cause, l’Organisation mondiale de la santé indique que le traitement par chélation est moins utile lorsque les enfants continuent d’être exposés au plomb.

Pour mieux comprendre les risques encourus par les voisins, The Examination a commandé 10 analyses de sang supplémentaires à des personnes vivant à proximité de l’usine de recyclage du plomb et les a fait analyser par un laboratoire en France.

Sur les quatre enfants testés, tous présentaient un taux de plomb élevé. Le taux de plomb d’un garçon de 13 ans, qui vit derrière l’usine, avait augmenté depuis son premier test quatre mois plus tôt atteignant plus de 40 microgrammes par décilitre. Un autre garçon, âgé de 10 ans, a obtenu un résultat de près de 46 microgrammes. 

À de tels niveaux, le CDC recommande un examen physique complet et une enquête approfondie sur la source de l’exposition au plomb. Au-delà de 45 microgrammes par décilitre, le Département de la santé de l’État de New York émet la déclaration suivante : « Votre enfant a besoin d’un traitement médical immédiat. »

M. Schwartz a qualifié les résultats de « scandaleux. » 

« La meilleure solution est d’éviter toute exposition supplémentaire », a-t-il déclaré.

Dans une déclaration, M. Goswami, 56 ans, a nié le fait que Metssa Congo a contribué à des niveaux élevés de plomb, affirmant que les tests effectués par le service local de santé « n’a indiqué aucun effet à long terme sur la santé lié à nos activités. » M. Goswami a refusé de fournir des détails ou de la documentation sur les tests. Le ministère de la Santé du Congo n’a pas répondu aux messages, aux appels téléphoniques et à une lettre remise en main propre demandant de plus amples informations.

Goswami a affirmé que Metssa Congo travaillait « dans le strict respect des normes industrielles internationalement reconnues et avec l’approbation du gouvernement congolais », ajoutant que la société avait augmenté la hauteur de ses cheminées et apporté d’autres améliorations en 2020, à la suite des recommandations du gouvernement.

Il a néanmoins reconnu que l’usine avait commencé à fonctionner avant de bénéficier des autorisations nécessaires, tout en précisant qu’elle en avait reçu l’autorisation et que l’entreprise disposait désormais de « toutes les autorisations environnementales. » M. Goswami a rejeté les résultats de l’audit sur les « poussières toxiques » et a déclaré que les photos et les vidéos prises en dehors de l’usine montrent de la fumée provenant du recyclage de l’aluminium, et non du plomb. Les fours sont dotés de protections qui « collectent, neutralisent et filtrent efficacement les émissions avant leur rejet, garantissant ainsi l’absence d’impact nocif sur l’environnement et donnant la priorité à la sécurité », a-t-il déclaré.

M. Goswami, né à Meerut en Inde, a souligné qu’il vivait en Afrique depuis 28 ans et que ses entreprises avaient créé environ 500 emplois. « Je n’ai jamais cherché à profiter d’une réglementation et d’un plus faible niveau d’application des lois », a déclaré M. Goswami. Il a ajouté que l’entreprise avait demandé au gouvernement congolais de l’aider à trouver un nouveau site. 

Mme Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement de la République du Congo, s’est entretenue avec The Examination en août, promettant de répondre aux questions relatives à la situation de Vindoulou. « Je ferai de mon mieux », a-t-elle écrit par la suite via WhatsApp. Elle n’a finalement pas répondu aux questions, ni aux appels téléphoniques ou aux messages qui ont suivi.

Le ministre congolais de la Santé n’a pas répondu aux demandes d’entretien. M. Paul Adam Dibouilou, un haut fonctionnaire nommé par le président autocratique du Congo pour superviser la région dans laquelle se trouve Vindoulou, a déclaré qu’il se souciait de la santé de ses concitoyens, mais qu’il était « dubitatif » quant aux allégations de niveaux élevés de plomb parmi les résidents.

L’ambassadeur de l’Inde au Congo, M. Madan-Lal Raigar, s’est refusé à tout commentaire.

« Bravo l’Inde »

Enregistrement vidéo réalisé par un employé à l'intérieur de l'usine Metafrique Cameroun et partagé avec The Examination.

L’usine de recyclage du plomb au Cameroun est séparée du Congo voisin par des centaines de kilomètres de forêt tropicale. Elle se trouve dans une zone industrielle de Douala que le gouvernement autoritaire du pays a créée en expulsant des centaines de familles et en se taillant plus de 100 hectares au centre de la ville. 

C’est ici, au début du siècle, que M. Goswami a fondé Metafrique Cameroun, l’un des plus grands négociants de plomb et d’autres métaux du pays. En 2013, comme le montrent des photos diffusées par l’entreprise sur les réseaux sociaux, des hommes vêtus de chemises habillées et de kurtas sud-asiatiques se sont rassemblés à l’intérieur d’une usine pour regarder un responsable hisser les drapeaux du Cameroun et de l’Inde. Un homme a salué. D’autres se sont mis au garde-à-vous. « Bravo l’Inde », ont écrit des utilisateurs de Facebook.

La même année, un groupe de journalistes spécialisés en environnement a publié un rapport accusant la société de recyclage de batteries, Metafrique Cameroun, d’avoir rendu malades les employés et les résidents proches de l’usine. Selon les journalistes, aucune des cheminées n’était équipée de filtres, essentiels pour réduire l’exposition du public aux sous-produits toxiques issus de la fonte du plomb. Selon les journalistes, les habitants se sont plaints de toux, de nausées et d’éruptions cutanées.

« Les activités de votre entreprise violent les lois de la République et constituent une menace réelle pour la vie des populations », a écrit M. Isaac Ngahane, alors membre de l’Assemblée nationale, à la direction de l’entreprise suite la publication de l’article.

En 2018, une équipe d’universitaires et de scientifiques a publié la plus grande étude jamais réalisée en Afrique sur la contamination des sols par les fabricants de batteries. Selon les experts, le sol est un problème majeur, car le plomb peut être ingéré par les enfants qui jouent à l’extérieur ou inhalé dans la poussière transportée à l’intérieur des maisons sur les vêtements ou les chaussures.

Sur les 15 entreprises en Afrique dont le sol a été analysé à l’intérieur et à l’extérieur des locaux de l’usine, huit étaient détenues ou exploitées par des Indiens et des entreprises indiennes, selon The Examination. (Parmi les entreprises restantes, la plupart étaient des entreprises locales, selon les registres.) Les analyses de sol permettent d’établir un modèle. D’après les scientifiques, si les niveaux de plomb diminuent lorsque l’on s’éloigne d’une usine, il est plus probable que les mesures de protection de l’environnement soient inadaptées.

Les sols testés à l’extérieur de l’usine de recyclage de batteries appartenant à Metafrique ont donné le résultat le plus élevé du Cameroun et le troisième plus élevé d’Afrique, selon l’étude. Ce résultat – 19 000 milligrammes de plomb par kilogramme — est près de 50 fois supérieur à ce que l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) considère comme une valeur de référence pour l’élimination des sols contaminés dans les quartiers résidentiels.

Un an plus tard, des fonctionnaires ont inspecté l’usine et lui ont attribué une note de zéro sur cent pour ses efforts en matière de contrôle de la pollution de l’air et de traitement des plaintes des voisins en matière de santé, selon un projet de rapport obtenu par The Examination. D’après ce projet de rapport, la protection de la santé des résidents est la seule catégorie d’impact dans laquelle Metafrique Cameroun n’a fait aucun progrès depuis le début de ses activités.

M. Goswami a déclaré que l’usine avait installé des équipements « dans le but de s’assurer qu’aucune matière gazeuse ou particulaire n’est émise » et qu’il ne se souvenait pas du reportage ou des communications avec l’homme politique camerounais.

« Nous avons toujours respecté les normes locales et les exigences légales du pays dans lequel nous opérons », a déclaré M. Goswami.

Ce dernier a affirmé que lui et sa famille avaient vendu leurs intérêts au sein de Metafrique Cameroun il y a plusieurs années et qu’ils n’avaient plus aucun intérêt dans la société. Il a refusé de révéler l’identité de l’acheteur, invoquant un accord de non-divulgation. 

Les archives camerounaises indiquent que M. Goswami a finalisé en 2019 le transfert de ses intérêts dans Metafrique Cameroun à une société des Émirats arabes unis, un paradis fiscal où l’identité des propriétaires n’est pas rendue publique.

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Cet été, un journaliste de The Examination a embarqué dans un camion avec un géochimiste camerounais, suivant un expert en déchets dangereux du ministère de l’Environnement à travers une circulation dense jusqu’à l’usine de Metafrique Cameroun.

« Généralement, lorsque nous venons, nous ne venons pas en paix », a déclaré M. William Lemnyuy, fonctionnaire du ministère.

Pendant une heure, M. Lemnyuy, qui a représenté le Cameroun lors de conférences des Nations unies sur la réglementation des produits toxiques, a déambulé dans l’usine tandis que des ouvriers en bottes et gants rouges détruisaient à la machette des amas de batteries usagées.

En montrant la cheminée, M. Lemnyuy a déclaré qu’il ne voyait aucune trace de filtre entre celle-ci et le four. Les experts considèrent qu’un simple filtre en tissu est le strict minimum pour éliminer les émissions les plus dangereuses.

« On a l’impression que les choses se font comme il y a 100 ans », a déclaré M. Lemnyuy.

À proximité, M. Gilbert Kuepouo, géochimiste et directeur exécutif du Centre de recherche et d’éducation pour le développement, une organisation à but non lucratif, a mis la terre arable dans des sacs qu’il a envoyés à un laboratoire à l’étranger en vue d’une analyse du plomb.

The Examination a payé des scientifiques afin qu’ils collectent et analysent des échantillons de sol à l’intérieur de l’usine et jusqu’à une distance de 500 mètres.

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Des scientifiques du Centre de Recherche et d'Éducation pour le Développement collectent des échantillons de sol à l'intérieur et à l'extérieur de la zone industrielle de Douala, au Cameroun, en juillet 2023, afin de vérifier la présence de plomb.Photographies par Daniel Beloumou Olomo

M. Kuepouo a entamé son travail en se penchant sur une bande de terre où des pierres, un sac en tissu et une vieille pièce de BMW gisaient en tas d’ordures. Accompagné d’un collègue, il s’est ensuite dirigé vers l’ouest, passant devant des kiosques à déjeuner et des maisons surpeuplées, jusqu’au lycée, un complexe de bâtiments en béton dont les murs sont couverts de moisissures. En dernière étape, les scientifiques se sont dirigés vers le nord-est de l’usine, parcourant 500 mètres sur un chemin boueux pour collecter de la terre près d’un dispensaire géré par une religieuse bolivienne.

« Nous pouvons affirmer avec certitude que la contamination du sol provient de l’usine », a déclaré M. Kuepouo après avoir analysé les résultats. Le sol prélevé à l’intérieur de l’usine présentait un taux de plomb plus de 70 fois supérieur au niveau auquel l’EPA recommande d’assainir un site industriel. D’autres échantillons, notamment ceux prélevés près des femmes qui grillent et vendent du maïs à proximité de l’usine, étaient six à huit fois plus élevés que ce que l’agence américaine considère comme une menace à la santé publique. Selon l’analyse, le plomb présent dans le sol à proximité du dispensaire et de l’école n’atteignait pas des niveaux préoccupants.

M. Kuepouo a déclaré que les résultats étaient plus élevés que ceux qu’il avait observés précédemment dans la région. « Les choses s’aggravent », a-t-il déclaré.

M. Lemnyuy a déclaré que certaines entreprises de la zone industrielle où opère Metafrique Cameroun se sont améliorées, en développant des systèmes permettant de couvrir et de capturer les fumées et les gaz. Metafrique Cameroun, dit-il, ne l’a pas fait.

Il a affirmé que l’approche actuelle consiste à travailler avec l’usine, et non à la pénaliser.

« C’est comme fouetter un enfant parce qu’il mouille son lit », a déclaré M. Lemnyuy. « Si vous continuez à fouetter l’enfant, il risque de ne pas sentir que vous l’aidez vraiment… C’est la même chose avec l’industrie. »

M. Ahmed Jaber, directeur général de Metafrique Cameroun, a rejeté les résultats de la récente inspection et a déclaré que les rapports ne mentionnaient pas de risques sanitaires. Toutefois, il n’a pas communiqué les rapports.

M. Jaber a déclaré que l’entreprise utilise des filtres de haute qualité qui sont remplacés tous les six mois, ainsi que d’autres équipements pour contrôler la pollution. « Les filtres étaient en cours d’entretien, car certains sacs auraient été usés ou détruits par une trop forte chaleur au moment de la visite de M. Lemnyuy Wiliam », a déclaré M. Jaber dans un communiqué.

Le même jour, MM. Kuepouo et Lemnyuy ont visité les deux autres installations de recyclage de batteries à Douala, toutes deux gérées par des Indiens. Des tests effectués sur le sol à l’intérieur et à l’extérieur de ces installations ont également révélé des niveaux élevés de plomb.

Les ministres de la Santé et de l’Environnement du Cameroun n’ont répondu ni aux appels téléphoniques ni aux demandes d’audience. M. Albert Mambo, fonctionnaire du ministère de la santé chargé de la zone de Douala, a déclaré à The Examination qu’il ne disposait d’aucune information sur les usines de recyclage de batteries.

« Nous nous préoccupons davantage des maladies tropicales ou des maladies émergentes », a-t-il déclaré. « Il doit y avoir un ordre de priorité », a déclaré M. Mambo au sujet du plomb.

Au début de l’année, Metafrique Cameroun a exporté du plomb vers l’Espagne, l’Irlande et d’autres pays. Des conteneurs de plomb provenant de Metssa Congo, propriété de M. Goswami, sont arrivés le mois dernier par cargo au port de Baltimore, dans le Maryland. Selon les registres du commerce, Trafigura Trading LLC, la filiale américaine du géant mondial du commerce Trafigura, en était le destinataire. 

Les registres n’indiquent pas le lieu de destination du plomb après son arrivée aux États-Unis et Trafigura a refusé de faire des commentaires sur sa destination. En réponse aux questions sur les plaintes des communautés contre Metssa Congo, une porte-parole de Trafigura a déclaré : « Nous prenons ces allégations très au sérieux et nous menons une enquête plus approfondie. »

« Tchernobyl local »

D’autres entreprises indiennes de recyclage de batteries en Afrique ont fait l’objet de critiques de la part de fonctionnaires, de scientifiques et de membres de la société. 

Gravita India Ltd est la plus visible d’entre elles.

« Nos activités se déroulent principalement en Afrique », a déclaré un dirigeant aux actionnaires au début de l’année. Un grand cabinet de recherche indien a qualifié l’Afrique de « joyau de la couronne » de l’entreprise, soulignant la croissance des bénéfices et les politiques gouvernementales favorables. Gravita India Ltd a récemment fait état d’un chiffre d’affaires global de plus de 336 millions de dollars.

En 2011, les autorités sénégalaises ont reproché à l’entreprise de ne pas avoir adopté des dizaines de recommandations en matière de sécurité, selon les médias. L’usine, située dans une ville abritant un orphelinat et un hôpital pour enfants, était un « Tchernobyl local », a écrit un habitant. L’entreprise a nié toute responsabilité en ce qui concerne les maladies ou la pollution, selon les médias. L’usine a depuis été déplacée.

En 2013, des scientifiques du gouvernement ghanéen et des universitaires ont constaté que les niveaux de plomb dans l’usine Gravita étaient des milliers de fois supérieurs à la moyenne des sites industriels aux États-Unis. Une deuxième étude réalisée quelques années plus tard a également révélé des niveaux de plomb nocifs dans le sol des locaux de l’entreprise.

« Ils sont arrivés à un moment où tout le monde pensait que le recyclage était une bonne chose et ne devait pas être réglementé », a déclaré M. Kwame Aboh, ancien directeur général adjoint de la Commission ghanéenne de l’énergie atomique, à propos de Gravita. M. Aboh a participé à l’étude de 2013 avec d’autres scientifiques de la Commission, qui gère un centre de recherche en matière de sols. Il s’est inquiété des travailleurs qu’il a vus utiliser des marteaux-piqueurs pour casser des batteries. « Je pense que nous avons tous été un peu laxistes », a déclaré M. Aboh.

M. Pwamang, ancien responsable de l’environnement au Ghana, a déclaré à The Examination que l’agence avait ordonné à Gravita de décontaminer le site et de déménager. « Mais ils n’ont pas procédé à un nettoyage en tant que tel », a déclaré M. Pwamang. « Ce site est toujours hautement contaminé. »

Gravita n’a pas répondu aux e-mails demandant sa réaction ni à une lettre envoyée à son bureau au Ghana.

Au Sénégal, près du village agricole de Ndiakhatt, se trouve une entreprise de recyclage de batteries qui porte le nom de Ganesha, en référence au dieu hindou à tête d’éléphant.

Les habitants vivant à proximité de l’usine craignent des maladies et des décès, une répétition du scandale mondial qui s’est produit il y a quelques années lorsque 18 enfants sénégalais sont décédés des suites de lésions cérébrales que l’on pensait dues à une exposition à long terme au plomb provenant d’une opération de recyclage non autorisée. 

L’année dernière, le ministère sénégalais de l’Environnement a ordonné la suspension de l’usine de Ganesha après qu’une inspection ait montré que l’entreprise avait commencé les travaux sans que les protections environnementales nécessaires ne soient garanties, selon une lettre obtenue par The Examination. Les fonctionnaires ont également constaté des niveaux élevés de plomb lors de l’inspection, indique la lettre, ajoutant que « la situation de pollution alarmante constatée sur le site exige des mesures urgents d'arrêt des activités » Les autorités ont autorisé la reprise des activités depuis longtemps.

« On n’attend pas la mort de nos enfants pour réagir,” ont protesté les habitants en mai, lors d’une manifestation réclamant la fermeture définitive de l’usine.

Un employé de Ganesha Sénégal a nié toute irrégularité, affirmant que la fermeture était due à un malentendu. Il a déclaré que les concurrents de Ganesha étaient à l’origine des plaintes, mais a refusé d’identifier les entreprises responsables.

« Nous ne polluons pas l’environnement », a déclaré l’employé, qui a refusé de décliner son identité. « Si nous avions enfreint la loi sur l’environnement, comment serions-nous autorisés à reprendre nos activités ? » 

Le ministre sénégalais de l’Environnement n’a pas répondu aux appels téléphoniques ni aux messages demandant un entretien.

L’impasse en Inde

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Le Premier ministre indien Narendra Modi et le président de l'Union africaine, Azali Assoumani, également président de l'Union des Comores, échangent une poignée de main à la clôture du sommet du G20 à New Delhi le 10 septembre 2023.Photo par -/PIB/AFP via Getty Images

Le Premier ministre indien Narendra Modi a fait de l’activité commerciale en Afrique et des relations étroites avec ses habitants la pierre angulaire de sa politique étrangère. 

En septembre, Modi a serré dans ses bras le président de l’Union africaine, le bloc régional représentant tous les pays du continent, en annonçant que l’UA était devenue membre du G20, le forum des économies les plus influentes du monde. 

« Lorsque nous disons que nous voyons le monde comme une famille, nous le pensons sincèrement », a déclaré Modi au début de l’année.

Pourtant, les Africains disent qu’ils ne se sentent pas en famille et qu’ils se heurtent à des obstacles considérables lorsqu’ils cherchent à obtenir réparation auprès de New Delhi.

Contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et à d’autres grands centres d’affaires, l’Inde ne dispose d’aucun outil juridique spécifique pour les victimes des abus de ses entreprises outre-mer. Même la Chine, qui est depuis longtemps accusée au travers de ses entreprises nationales de nuire à la santé humaine, a autorisé au début de l’année les étrangers à demander justice à certaines entreprises chinoises à l’étranger.

En 2016, les habitants de Mombasa, une ancienne ville économique du Kenya, ont intenté un procès à une usine de recyclage de batteries appartenant à l’Inde, accusée depuis longtemps de provoquer chez les habitants des défaillances dues à une insuffisance rénale, des diarrhées et des pertes de mémoire. Au moins 20 personnes étaient décédées et des fœtus mort-nés avaient l’air d’être couverts de suie, selon les habitants.

Les voisins de Mombasa ont intenté une action en justice contre Metal Refinery EPZ Ltd et les agences gouvernementales qui ont autorisé l’exploitation de l’usine de batteries. 

L’entreprise a refusé de répondre, a déclaré Mme Phyllis Omido, une dirigeante communautaire qui a fait face à des menaces anonymes et à la pression du gouvernement pour mettre fin à la campagne juridique. 

« Nous avons tenté de les retrouver en Inde, mais cela s’est avéré impossible », a déclaré Mme Omido. « Nous n’avons reçu aucune aide du consulat indien ici et les autorités indiennes ne nous ont pas aidés. »

Les autorités indiennes n’ont pas répondu aux courriels, aux télécopies ou aux appels téléphoniques visant à obtenir leur réaction. Les portes de l’entreprise sont fermées depuis longtemps.

En 2020, un juge kenyan a accordé 12 millions de dollars aux résidents. En juin, une cour d’appel a annulé la décision et ordonné un nouveau procès.

La tragédie a été causée par la synergie des pires cultures américaine et indienne.

Prakash Mohan Tiwari, premier magistrat judiciaire de Bhopal

L’Inde n’a pas toujours été aussi discrète face aux abus des entreprises d’outre-mer.

En 1984, peu après minuit en décembre, des panaches de gaz toxiques se sont échappés d’une usine de Bhopal, en Inde, appartenant à un fabricant de produits chimiques basé dans le Connecticut.

Des milliers de personnes ont été tuées par l’isocyanate de méthyle, qui a noyé certaines d’entre elles dans leurs propres fluides corporels et a provoqué l’arrêt cardiaque chez d’autres. Au moins 15 000 personnes sont décédées et un demi-million sont devenues aveugles, handicapées ou malades suite à ce qui était alors le pire accident industriel de l’histoire.

Les autorités indiennes ont engagé des poursuites pénales à l’encontre de la société locale et de ses dirigeants, ainsi que de la société mère américaine et de son directeur général, Warren Anderson. 

Pour atteindre Anderson, le gouvernement indien a publié un avis dans le Washington Post, le citant à comparaître devant le tribunal. Anderson a refusé et l’affaire a traîné pendant longtemps.

« La tragédie a été causée par la synergie des pires cultures américaine et indienne », a écrit des années plus tard Prakash Mohan Tiwari, premier magistrat judiciaire de Bhopal. « Une société américaine a cyniquement utilisé un pays du tiers monde pour échapper aux normes de sécurité de plus en plus strictes imposées dans son pays. »

Le gouvernement américain a refusé d’extrader Anderson, qui est décédé en 2014.

La réaction à la catastrophe de Bhopal a contribué à inspirer des poursuites judiciaires dans le monde entier, qui se poursuivent encore aujourd’hui. Les victimes d’un massacre perpétré par le gouvernement en République démocratique du Congo ont tenté en vain de poursuivre une société minière en Australie et au Canada pour avoir prétendument fourni des camions et des provisions aux soldats. 

Des milliers de Nigérians vivant à proximité d’oléoducs demandent une indemnisation au siège londonien de Shell, au motif que la société contrôlait une filiale qui a empoisonné les terres et les nappes phréatiques. 

Des habitants de la ville zambienne de Kabwe poursuivent une société minière sud-africaine au motif qu’ils auraient été intoxiqués par le plomb. Des hommes, des femmes et des enfants affirment que la société connaissait les risques sanitaires liés à l’exploitation d’une mine de plomb à Kabwe, que des chercheurs ont qualifiée de « ville la plus toxique du monde ». L’affaire est en cours.

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Les victoires sont rares et difficiles à obtenir. Cependant, les experts affirment que les voies formelles de plainte, dans les salles d’audience ou ailleurs, peuvent s’avérer utiles. Cinquante et un pays, des États-Unis au Maroc, disposent de ce que l’on appelle des « points de contact nationaux », des organismes soutenus par le gouvernement et habilités à recevoir et à examiner les plaintes relatives à des actes répréhensibles commis par des entreprises à l’étranger. Bien que n’ayant aucun pouvoir d’exécution, les points de contact peuvent formuler des recommandations et contribuer aux négociations entre une entreprise et des individus ou des communautés.

« À mesure que les entreprises indiennes s’implantent à l’étranger et que les violations des droits de l’homme dont elles se rendent coupables sont révélées au grand jour, je m’attends à ce que le gouvernement indien soit soumis à une pression croissante pour réglementer de manière proactive le comportement de ces entreprises », a déclaré Surya Deva, professeur de droit à l’université Macquarie en Australie et ancien membre du groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme.

Pour l’instant, les habitants de Vindoulou défendent leur cause devant le tribunal local. Plus de 150 personnes se sont jointes à une action en justice en juin, demandant à un juge de reconnaître les dangers auxquels ils sont confrontés, de fermer l’entreprise et de la forcer à déménager. Le juge a reporté l’affaire en septembre, estimant qu’il n’avait pas le pouvoir de fermer l’usine. 

Le mois dernier, M. Ndembi et ses voisins ont déposé une nouvelle plainte devant le tribunal administratif, demandant (une fois de plus) l’arrêt des activités de Metssa Congo et l’indemnisation par celle-ci des personnes dont le taux de plomb est élevé dans le sang. « Il y a urgence et péril en la demeure,», a écrit l’avocat des résidents.

Enregistrement vidéo réalisé par Cyrille Ndembi et partagé avec The Examination le 30 novembre 2023.

À leur domicile, M. Ndembi et sa famille toussent encore pendant la journée et se réveillent la nuit à cause du bruit. Avec un téléphone et une connexion Internet limitée, M. Ndembi pense que la meilleure chose qu’il puisse faire est de se tenir dans son jardin et de filmer l’usine lorsqu’elle crache de la fumée dans le ciel. 

Un jour, espère-t-il, ces vidéos feront une différence.

Christian Locka et Emmanuel K. Dogbevi ont contribué au reportage.

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Will Fitzgibbon

Will Fitzgibbon is a senior reporter and the global partnership coordinator for The Examination.